Je trouve très intéressant le fait d'analyser le style d'écriture d'un écrivain mais je trouve encore plus intéressant le fait de s'intéresser au lieu d'écriture, à l'environnement de l'écrivain.
En effet, au fur et à mesure de mes lectures, je me suis attardée sur la vie des écrivains et sur leur mode de vie. Je me suis particulièrement intéressée aux lieux d'écriture et j'ai remarqué que la plupart des mes auteurs préférés aimaient écrire dans un espace clos, un espace fermé, ayant comme seule compagnie leurs papiers, vivant ainsi dans un univers de papiers pendant des mois. Une rupture brutale avec la réalité et avec le monde extérieur.
C'est pour cela que j'ai choisi de vous parler de quatre écrivains qui se cloitraient dans leur chambre jour et nuit afin de produire des oeuvres d'art. Des oeuvres d'art qui ont vu le jour dans un espace coupé du jour et de toute lumière, dans un espace fermé, clos, à l'image de la vie intérieure de chacun de ces auteurs.
La vie intérieure d'Emily Dickinson:
Emily Dickinson est connue pour avoir vécu dans une maison de papier. Plus particulièrement, sa maison de papier. Une maison qui n'est que sa chambre, un espace clos. Enfermée entre quatre murs, assise sur sa chaise de bureau, Emily Dickinson a écrit toute sa vie des poèmes merveilleux, accompagnée uniquement de ses papiers et de sa plume.
Cette poétesse a fait le choix de se retirer du monde, de la société pour se consacrer pleinement à son art et pour laisser s'exprimer sa vie intérieure, sans être déstabilisée et distraite par la vie extérieure.
Dominique Fortier a très bien décrit cette situation, "Emily Dickinson a fait le choix de se réfugier dans un monde de papier pour créer et éprouver pleinement sa liberté".
Ainsi, pour Emily Dickinson, la liberté n'était pas le monde extérieur et réel mais plutôt son monde à elle, le monde qu'elle s'est crée au fond d'elle et où elle se sent le plus libre possible.
"Il faut mal connaitre Emily Dickinson pour s'imaginer la châtier en l'enfermant dans le silence seule avec ses papiers".
"C'est seulement quand elle ferme derrière elle la porte de sa chambre et qu'elle entre dans le silence qu'Emily peut recommencer à entendre cette voix qui parle et ne parle pas, au creux de sa tête".
"Il y a longtemps qu'elle habite sa maison de papier. On ne peut pas avoir à la fois la vie et les livres, à moins de choisir les livres une fois pour toute et d'y coucher sa vie".
La vie intérieure de Virginia Woolf:
Virginia Woolf est un autre exemple de ce dualisme entre l'écriture et l'espace où voit le jour l'écriture. En effet, Virginia Woolf vivait dans une très belle maison, entourée d'un jardin, mais cette beauté extérieure ne lui permettait pas d'exprimer pleinement son art. Pour que son génie intérieur fasse surface, il fallait qu'elle s'enferme dans son bureau, une chambre composée d'une bibliothèque, d'un bureau et d'un fauteuil où elle écrivait pendant des jours et des nuits quand l'inspiration lui venait.
Elle ne comptait plus les jours, plus les heures, plus les minutes, elle était enfermée dans son être, dans son imaginaire. Virginia Woolf utilisait ses ressentis pour créer des oeuvres d'art et toucher des millions de personnes et elle n'a pu le faire qu'en vivant plein de choses à l'extérieur, en observant la société et les personnes qui l'entourait. Mais si ses oeuvres ont eu tellement de succès par la suite c'est surtout grâce au fait qu'elle s'y est consacré jours et nuits et qu'elle a donné tout son être pour le faire, elle n'a été distraite par aucune force extérieure, que ce soit son mari, les paysages, les habitants de la ville, elle était seule, seule avec elle même et donc seule avec son écriture, sa source de vie.
La vie intérieure de Victor Hugo:
Être reclus, c'est "prendre congé du monde". En effet, Victor Hugo vers la fin de sa vie s'est volontairement isolé du monde qui l'entourait. Fatigué de tant de douleurs physiques et émotionnelles, suite au décès de sa fille Léopoldine, une mort tragique qui l'a poursuivit toute sa vie. En visitant sa maison, j'ai compris que contrairement aux autres auteurs que j'ai cité dans cet article, Victor Hugo n'avait pas choisi d'être reclus, il l'était devenu.
Ne supportant plus les drames de sa vie, notamment la mort de ses autres enfants, il a choisi de vivre reclus dans sa maison, coupé du monde, coupé de tout ce qui était réel pour se consacrer pleinement à l'écriture, le seul moyen qu'il avait de faire revivre ses enfants, ses souvenirs et sa joie.
L'écriture a été un moyen pour lui de noyer sa peine, sa souffrance, sa tristesse et c'est aussi grâce à ce désespoir que Victor Hugo est l'un des plus grands auteurs de notre temps.
La vie intérieure de Sylvia Plath:
Cet auteur a pris exemple sur Emily Dickinson. Pour elle, Emily Dickinson était un modèle, une inspiration, une source d'admiration. Ainsi, comme elle, elle voua sa vie à son art, "l'écriture". Elle s'est volontairement isolée dans la maison de son père, un notable d'Amherst en Nouvelle-Angleterre.
Patricia Godi décrit très bien l'univers de papier qui entourait cet auteur, "L'écriture pour elle est une nécessité, et elle procure à son auteur le sentiment d'être un "petit dieu" qui recrée le monde d'après ses propres plans. Sa vie est tendue vers l'écriture et Sylvia Plath ne conçoit que de créer, elle est habitée par des forces physiques, intellectuelles et émotionnelles qui doivent nécessairement trouver une issue au risque de se retourner contre elle et de la détruire".
Je trouve que Patricia Godi a très bien cerné le but de cet isolement des auteurs, notamment de Sylvia Plath. Les génies d'écriture, les créatures de papiers, sont des êtres particuliers, uniques qui ont besoin d'exprimer leur génie intérieur qui n'est que leur monde intérieur. Ils ont besoin de créer des histoires, des romans à partir de leur essence, de leur être, de leur vécu et de leur ressenti. Ces derniers subissent l'écriture malgré le fait que cette dernière reste le seul moyen qui les laissent en vie. Ils sont habités par des forces physiques, intellectuelles et émotionnelles. Ils ont besoin de relâcher tout ça en mettant à l'écrit tout ce qu'ils ressentent. Mais l'écriture est aussi une source de destruction, et cet isolement a porté préjudice à Sylvia Plath qui est devenue dépressive et qui a tenté plusieurs fois de se suicider jusqu'à y parvenir en mettant sa tête dans un four.