mardi 12 juillet 2022

Écrire comme un homme/ Écrire comme une femme

La femme et l'écriture jusqu'au 20ème siècle:

La femme avait-elle le droit à l'art? Avait-elle le droit d'être artiste? 

Pour beaucoup d'hommes, le droit à l'écriture ne leur revient qu'à eux. Pour eux, quand les femmes écrivent ce n'est pas de l'art ou ce ne sont pas des femmes, ce sont juste des femmes qui écrivent comme des hommes. 

On peut retrouver deux conceptions différentes vis à vis de la femme écrivain. 

Certains auteurs reprochent à la femme d'être naturellement douée d'une sensibilité qu'ils sont obligés d'apprendre sur le tard par eux mêmes mais ces derniers lui reconnaissent quand même son talent et ses qualités et d'autres auteurs considèrent que la femme n'a aucune place dans le monde de l'écriture étant donné qu'elle est trop sensible, qu'elle parle beaucoup trop et qu'elle n'a pas de style, le style étant la caractéristique des hommes écrivains. 

1- Les auteurs qui reconnaissent le talent d'écriture de la femme

Le docteur Cerise avait dit en 1845 que "la femme est naturellement artiste parce qu'elle est organisée pour sentir ce que l'homme est obligé d'apprendre". 

Les qualités reconnues à la femme écrivain:

  1. Elle a le talent de tout dire même les pensées les plus abstraites avec grâce. 
  2. Guidée par son instinct dans le choix des expressions, d'un seul mot elle fait jaillir les idées. 
  3. Les effets de son style sont d'autant plus puissant que la réflexion semble y prendre une moindre part. 
  4. Son éloquence est rapide, délicate, vivement nuancée, c'est le jeu de sa physionomie traduit en parole. 

2- Les auteurs qui ne reconnaissent pas le talent d'écriture de la femme 

De nombreux auteurs contestent ce qu'ils appellent "l'écriture féminine". Pour eux, lorsqu'ils ont sous les yeux des élégies, des odes ou des poèmes écrits par des femmes, il ne leur vient aucune pensée, la femme n'écrit pas de manière à blesser le coeur de son lecteur. 

Flaubert reproche d'ailleurs à Louise Cole d'écrire pour "se satisfaire le coeur" plus que "par l'attraction de l'art". Pour lui, la femme écrivain écrit plus pour déverser ses passions que pour l'art d'écrire. Elle fait plus attention à ce qu'elle écrit que la manière avec laquelle elle l'écrit. 

Pour Proudhon, "la femme auteur n'existe pas, c'est une contradiction, le rôle de la femme dans les lettres est le même que dans la manufacture, elle sert là où le génie n'est plus de service, comme une bouche ou une bobine". Ces mots sont très durs et dégradants pour les femmes écrivains étant donné que cet auteur les assimile à une espèce inférieure à l'homme. Pour lui, la femme qui écrit ne pourra jamais égaler le génie de l'homme. Elle n'est là que quand l'homme ne peut pas écrire ou quand l'homme n'écrira plus, comme un bouche trou. 

L'inspecteur général Jacquinet avait même dit qu' "en raison de leur tempérament d'esprit plus sensible et plus vif que fort, il est difficile aux femmes plus heureusement douées, d'arriver, dans le travail de la composition et du style, à ce parfait accord de raison et d'imagination, à cette intime et constante harmonie de la pensée et de l'expression, qui seuls ont les écrits excellents. Il n'a été donné qu'à un petit nombre d'entre elles et rarement dans des oeuvres de longue haleine, d'atteindre à la beauté sans tache, à cela sans nuages de la perfection classique". 

Buffon disait que "le style, c'est l'homme". Quand l'homme est une femme, le style c'est la femme avec ses qualités et ses défauts attendus. 

Ainsi, de nombreux auteurs ont mis en lumière les défauts de la femme écrivain ou plutôt de "l'écriture féminine". 

  1. Un style diffus
  2. Une abondance de mots et de phrases qui rappelle le flux de la conversation, le génie du bavardage. 
  3. La passion de l'écriture prime sur la raison et l'expression. 
  4. Pas de style, le style étant une caractéristique propre à l'homme. 

Je suis choquée par les affirmations des écrivains sur l'écriture des femmes. Par exemple, Barbey d'Aurevilly avait dit que "les femmes peuvent être et ont été des poètes, des écrivains et des artistes, mais elles ont été des poètes femmes, des écrivains femmes, des artistes femmes. Étudiez leurs oeuvres ouvrez les au hasard à la dixième ligne, et sans savoir de qui elles sont, vous êtes prévenus, vous sentez la femme: odor di femina". 

Pour cet auteur, la femme écrivain sera éternellement qualifiée comme étant une "femme écrivain" plutôt qu'un "écrivain". Elle sera toujours définie par son sexe. Mais est-ce que c'est le sexe qui détermine le talent d'un auteur? Est-ce que c'est le sexe qui détermine si l'oeuvre va être un chef d'oeuvre ou pas? C'est une vision très sexiste de la femme écrivain. 

Jean Larnax affirmait "elles ne sont à l'aise que dans la liberté. Dès qu'elles ne laissent plus libre cours à leur inspiration, elles perdent leurs ailes". Ainsi, pour lui, la femme écrivain n'est pas aussi douée que l'homme et n'a pas le "style" d'écriture étant donne qu'elle ne se sent pas limitée et encadrée par les règles de l'écriture et les normes d'écriture. Elle écrit comme elle veut, comme elle le sent. Or, c'est beau d'avoir de l'inspiration mais l'inspiration à elle seule ne suffit pas, pour écrire un bon roman il faut aussi le style. 

Y a-t-il une écriture féminine?

Il existe un grand malentendu de la littérature féminine. En effet, les livres de femmes sont rapidement considérés comme des ouvrages de bonnes femmes. Prenons l'exemple, de Gone with the Wind de Margaret Mitchell, un des romans les plus vendus dans le monde. Ce roman apparait rarement dans la liste des livres de chevet masculins alors qu'il reste l'un des romans préférés des femmes. 

Ainsi, il existe quand même une spécificité féminine non pas tant dans l'écriture que dans les thèmes et la manière de les aborder. Par exemple, dans le livre Journal d'Hannah écrit par Louise Lambrichs, comment imaginer que l'histoire d'Hannah obligée d'avorter et qui rêve du bébé qu'elle n'aura jamais ait été écrite par un homme? Cependant, l'auteur de ce roman rappelle le caractère universel de l'écriture en disant "mais elle ne l'aurait peut être pas été par une autre femme non plus". Elle souligne ainsi l'aspect individuel plus que sexuel du thème. 

"Beaucoup d'hommes se sont identifiés à mon personnage. et jamais, en écrivant, je n'ai eu l'impression de m'adresser aux femmes". 

De nombreuses romancières contemporaines refusent cette étiquette d'écriture féminine. "Si l'on regarde l'histoire, le roman a été inventé par les femmes, parce qu'elles n'avaient pas accès aux genres nobles. On leur interdisait l'éducation, la poésie... c'est ainsi que la princesse de Clèves de Mme de La Fayette est considérée comme le premier roman psychologique moderne. Mais on aborde pas de la même manière un livre signé par un homme ou par une femme. Il subsiste un conditionnement sociologique". 

Irène Frain affirme même qu'elle aurait bien aimé prendre un pseudonyme d'homme, "Je suis sûre que l'on ne m'aurait pas lue de la même façon". 

À ses yeux, l'écriture dite féminine est associée au sentimentalisme dans le mauvais sens du terme. 

Cependant, l'auteur de l'homme fatal (Fayard) pense que les romancières sont plus proches du quotidien que les hommes. "C'est dans l'infiniment petit que nous décelons l'infiniment grand, autrement dit nos problèmes de sociétés". 

Claude Sarraute pense qu'il n'y a pas d'écriture différente mais des sujets divergents. 

Enfin, il ne faut pas nier que la littérature n'est pas une question de sexe. Ce n'est pas parce que c'est un homme qui écrit, qu'il écrit comme un homme devrait écrire et qu'il écrit pour des hommes et ce n'est pas parce que c'est une femme qui écrit qu'elle écrit comme une femme devrait écrire et qu'elle écrit pour les femmes uniquement. 

L'écriture est universelle, elle ne rentre pas dans une catégorie. Il y a des sujets différents, des approches différentes, des histoires différentes et des styles différents mais ça reste quand même de l'écriture et le fait de savoir si c'est un roman digne d'être qualifié de chef d'oeuvre ne relève pas du sexe de la personne qui l'a écrit mais plutôt de la manière avec laquelle il a été écrit. 

C'est donc un jugement artistique et non pas de sexe. Pourquoi associer aussi des qualités d'écriture aux femmes et aux hommes ainsi que des défauts? Pourquoi séparer l'écriture en deux? L'homme comme la femme peuvent écrire des romans en utilisant leur côté féminin ou masculin. Ainsi, un homme qui veut écrire un roman peut faire appel à la part féminine de sa personnalité pour décrire des sentiments relatifs à une héroïne de son roman. Pourquoi toujours voir les choses en noir et blanc, il existe aussi cet intermédiaire entre les deux, le gris, où l'écrivain est écrivain avant d'être un homme ou une femme, c'est une vocation avant d'être un métier. C'est un plaisir commun aux hommes et aux femmes, ce n'est la propriété ni des hommes ni des femmes. 


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